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La dernière vague
22 novembre 2016

selfharmaggedon

Au début, Maman a commencé à ne plus savoir écrire. Elle a persisté, m’a écrit tout un tas de messages dénués de sens, et puis finalement, elle a décidé d’arrêter. Elle a arrêté d’écrire, puis finalement elle a petit à petit perdu la parole. C’était comme si son cerveau se désagrégeait devant mes yeux très proches. Tout son corps s’est disloqué jusqu’à tomber dans la boîte bleue qui jonche le plancher. Quand je passe devant je dis bonjour. Tout paraît simple comme ça. L’horreur se mêle à l’indifférence. Moi, je veux le plein contrôle de mon corps : alors quand il s’énerve, je lui fais mal. C’est aussi simple que ça. Je reprends le contrôle. Puis la nuit il se venge. On se bat en permanence. Je suis dépossédée, déjà, si tôt. Au moins, je ne ferai pas comme Maman, puisque je ne parle pas moi, je ne parle jamais. Moi, je reste silencieuse ; dans le meilleur des cas, je vois les mains des amantes s’abattrent sur moi. Sinon j’essaie de hisser difficilement les miennes les araignées veineuses jusqu’à leur visage. Mais jamais mes doigts filandreux ne les atteignent. Je reste loin et je ne fais que regarder leurs constellations s’agiter devant moi. Parfois je suis si heureuse je pourrais mourir. Parfois je suis rattrapée par la trivialité. Tout à coup elles s’évanouissent devant moi. Comme la parole est partie en tâtonnant vers l’obscurité, elles se confondent tout à coup avec la lumière vague d’un jour de novembre. Et là, fendant cette lueur bien pâle, mon amour revient au galop, triomphant, sa lance braquée sur mon cœur, mes yeux rivés sur les poignets. Mon amour est parti comment survivre sans mon amour. Mon amante m’a laissée et plus jamais on ne pourra s’aimer comment ne pas mourir devant cette découverte affreuse. Maman est morte comment lui survivre. Comment vivre orpheline de toute maman et de tout amour. Comment vivre. Sa lance se rapproche. La vie siffle violemment. Sans le filtre de mes mains tendues vers des inconnues, je vois tout. Je vois la mort arriver en tornade.

 

Je crois que je meurs encore ; il n’y a pas un matin où je ne me réveille pas sans un sentiment de tristesse dévorant. Il n’y a pas de mots pour décrire, pour me décrire moi désorientée à chaque réveil, pathétique et bancale, j’ouvre les yeux habitée par une mélancolie insondable. Je sens mon ventre contracté pourtant par quelque chose : le manque. Au-dedans réclame au-dedans, et coupable, griffe et arrache tous les pans de sa prison. Le faire taire par le vide. La famine. Contrairement à ce que je pensais, les journées passent plus vite sans manger. L’état second dans lequel je suis plongée me permet d’éviter toute réflexion, je flotte dans un nuage d’apathie débile jusqu’au sommeil suivant, durant lequel je suis rattrapée par une nostalgie monstrueuse et vorace qui plie mon corps en deux avant de le laisser errer hébété pendant le jour.

Vraiment, je suis triste, et il n’y a rien à faire. Maman aura eu raison de moi et je ne lui en veux même pas. Après tout, les amantes n’ont pas été à la hauteur. Personne ne viendra plus. Il ne passe pas deux mois sans que j’envisage de me tuer. A chaque fois le mal s’exprime d’une manière différente, mais la solution reste la même. C’est dommage de ne pas avoir eu la chance de posséder, caché dans un meuble de chevet, un petit pistolet qui m’aurait bien servi ces nombreuses fois où je me suis réveillée baignée de larmes, accaparée d’un désespoir que j’acceptais sans comprendre. Je n’ai jamais été aussi déterminée à mourir que dans l’accablante confusion de ces moments. Pendant les dix minutes qui suivent ce genre de réveils (dont l’occurrence est d’environ deux à trois fois par semaine) je me sens si intensément habitée par l’envie de mourir que j’ai l’impression d’être surpuissante et de pouvoir tout accomplir, d’avoir tout compris, tout résolu, et que l’évidente solution se trouve juste là, à ma portée, me tuer, enfin. Dix minutes de brouillard jubilatoire rapidement calmées par des contraintes pratiques : Où sont les médicaments ? Ai-je de l’alcool ? Vais-je me raviser le temps que la corde m’étrangle ? A quelle fréquence passent les trains ? En bref, l’euphorie suicidaire rattrapée, comme tout, par la trivialité des choses. De là naît une nouvelle frustration, qui s’ajoute à celle du au-dedans fantasmé et vient compléter une culpabilité déjà omniprésente. A cela s’additionne l’impossibilité de parler de ces matins-là, et le raccourci simple : j’ai mal dormi (ce qui, en soit, n’est pas faux non plus). Un demi mensonge en somme, qui couvre l’horreur de devoir survivre à ces matinées. Dans la nuit, je revis l’échec de mes mains stériles tendues vers les amantes, et chaque matin, au lever, je me vois répéter, dans l’ordre, l’échec de l’action puis celui de la parole. Jour et nuit s’enchaîne le cycle de l’échec le plus total. Les rares moments d’apaisement viennent avec l’épuisement physique qui me berce dans un demi-sommeil confortable, où je rêve à la douleur de la perte sans la ressentir.

Décidément, les matins ne m’auront jamais réussi.

 

« à elle cette chose sans nom à elle

Le dessin même pas de ce qui fut

à elle cette absence à emplir ou

pas de couleurs et motifs choisis

à elle les contours fixés de son

pas posé là-bas à elle l’image à

venir de mon deuil à elle sa vie

dans ma mort à elle toujours

merci à elle »

 

« oh

elle s’est cassée

entre mes bras elle s’est

pas plus et ça juste

en mille mille mille morceaux

elle s’est

cassée

et moi

et moi aussi

oh

comme l’irréparable ils disent

toujours disent l’irréparable

et elle et moi

en mille mille et mille morts »

 

 

il y a quelques minutes que dis-je quelques secondes quelques moi j’étais bien sûr assise là sur le plancher froid et pourtant je n’entendais pas ses craquements j’entendais ceux d’elle j’entendais ses craquements à elle et ses respirations étouffées stériles je me noyais dans mes pleurs ce n’était il y a pas si longtemps pourtant et déjà je me noyais dans mes pleurs et mes yeux nageaient dedans mais il n’y avait pas d’au-dedans il n’y avait plus d’au-dedans ou peut-être n’y en avait-il pas encore je ne sais pas il faisait très chaud en tout cas je me vois de nouveau me répandre sur le plancher et parfois mes mains se hisser jusqu’au piano pour couvrir le vacarme de la mort qui arrive avec ses grands sabots et dans la glace je ne voyais rien d’autre qu’un homme étrange ou la mourante d’à côté qui disait : je vais me tuer je vais me tuer c’est mieux pour toi c’est mieux pour elle je vais mourir et maintenant je me vois c’est moi moi la prochaine tant mieux tu étais si intolérante à mon existence que tu ne pouvais te passer de moi alors bientôt je reviens mes mains pleines du souvenir des amantes je l’étalerai sur le sol et toi tu l’irrigueras de tes larmes moi de mon sang et tout recommencera encore encore encore

 

IM NOT DEAD

THERE IS NO END

 

J’ai rêvé qu’elles s’en allaient ensemble devant moi

Avec les mains que je n’ai pas eu

J’ai pensé que la solution, c’était le sommeil d’Albertine, pour que pendant mes nuits blanches je n’ai pas peur que tu te réveilles sans m’aimer

Mais je nous imagine en organisme béat et dégoûtant

(mon désir)

 

 nostalgie, ma nostalgie : un mal démystifié.

Pourtant la nostalgie, mon absolu, la nostalgie de mon amour celui que j’ai sans cesse essayé de construire au creux du ventre chaud des amantes, là même où j’ai attrapé mon mal mon désir poisseux mon amour aride ma tête coupable chevauchée par mes mains incapables. S’il avait été aussi facile de te retenir que de se glisser au-dedans.

 

« Tout me refoule vers [mon amour], où je ne peux pas aller. Ici, je suis inutile, là-bas –impossible. »

Je vous en veux de m’avoir condamnée à l’errance mais avant tout je me déteste moi et toutes mes mains tendues au lever de la hache des désirs stériles.

Et sans cesse elles repoussent.

 

AIMER L’ABSENTE

 

aimer l’absente

aimer l’absente dans le monde

aimer l’absente dans la maison

aimer l’absente dans le lit

aimer l’absente au-dedans

aimer l’absente partout aimer l’absente toujours se souvenir pendue dans la salle de bain au rythme de son sourire aux échos de sa voix

aimer l’absente jusque dans les fonds des boîtes bleues aimer l’absente son visage au fond de l’eau aimer l’absente poisseuse dans mes bras

aimer l’absente au-delà au-dedans sortir la tête des cicatrices se sortir de la tête partir sur les routes le matin

aimer l’absente les mains collées à soi aimer l’absente d’yeux aveugles aimer l’absente en titubant de ridicule

aimer l’absente qui ne se soucie plus de moi aimer l’absente qui n’a jamais existé aimer l’absente qui est déjà morte

tout couper tout extraire rien ne me libère du vide

mes yeux

 

 

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