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La dernière vague
26 août 2012

La petite ombre

Un léger vent se levait. Il faisait voleter quelques feuilles en sifflant doucement. C’était sûrement le seul mouvement et le seul bruit de cet endroit. Le ciel était grisâtre, on voyait à peine le soleil derrière une colline. Au-delà de ces petites collines s’étendaient de vastes plaines. Le paysage aurait pu être magnifique. Mais il était fade, dénué de couleurs. Personne ne vivait là, aucun animal, mis à part quelques insectes. Cet endroit semblait infini, les plaines ne laissaient jamais place à un village, et les collines constituaient le seul relief de ce lieu, qui était par ailleurs très sec, empêchant ainsi la prolifération de fleurs ou d’arbres.

L’endroit était désert, ou presque. Un être s’y trouvait, miraculeusement. Le vide de ces plaines avait influencé sa personne, et elle aussi était convaincue d’être vide. Elle errait sans but, et n’avait pas vraiment de souvenirs, mis à part une vielle légende comme quoi cette terre fut peuplée, mais qu’avec l’apparition d’une créature étrange, il avait été fuit de tous. Elle ne savait pas pourquoi elle était restée ici. Sûrement parce qu’elle devait être différente, alors on l’a laissée, pensant qu’elle mourrait rapidement. Ou alors on l’avait oubliée. Quoiqu’il en soit, elle ne se posait plus de questions maintenant, et se contentait de passer ses journées à marcher, vagabondant d’un endroit à l’autre.

Mais un jour, elle entendit un grondement lointain, un bruit puissant et inhabituel. Des pas lourds s’abattaient sur les plaines, ils étaient lointains, mais elle les sentait, elle percevait chaque secousse comme un coup de tonnerre. L’herbe frémissait sous ses pieds, le vent se levait, elle commençait à trembler. De froid, de peur ? Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait rien ressenti qu’elle ne pouvait le déterminer. Et c’est en levant la tête qu’elle la vit. La créature était à des kilomètres d’elle, et le brouillard ne lui permettait pas de la voir clairement. C’était comme une énorme montagne animée, d’un vert gris, qui se déplaçait lentement dans sa direction. Elle n’était pas sûre de l’agressivité de la bête, mais décida de trouver un abri.

Après quelques minutes, elle découvrit, à sa grande surprise, une sorte d’édifice. Il était posé au milieu des plaines, comme tombé du ciel, là devant elle. Il était constitué de quatre chemins, qui se croisaient perpendiculairement, et dont chaque sortie était dénuée de porte. Il y avait pourtant un plafond et un sol, et tous les murs étaient bétonnés et particulièrement épais, donnant l’illusion d’être un lieu sûr. Qu’aurait-elle pu trouver de mieux ? Elle accéléra le pas vers une des entrées, traversa un couloir pour trouver le centre, le croisement des 4 chemins. Elle s’y arrêta, reprit son souffle et écouta attentivement les bruits pour déterminer la position de la créature. Mais elle ne risquait plus rien ici.

Mais soudain, elle se rendit compte qu’elle n’était pas seule dans l’édifice. Au croisement se trouvait une petite cage de verre enterrée dans le sol, et elle était assise dessus. Elle se releva précipitamment lorsqu’elle s’en rendit compte, et regarda à l’intérieur. Il s’y trouvait un être étrange, une ombre à forme humaine, qui la contemplait de ces yeux vides, les genoux contre la poitrine, accroupie dans un coin de la cage. Puis la petite ombre se leva sur ses jambes tremblantes, ses membres frêles vacillant à chaque mouvement , et elle vint poser sa main contre le plafond de sa minuscule prison. Incrédule, elle se pencha et vint elle aussi poser sa main à l’endroit de celle de l’ombre, étrangement fascinée, attirée par cet être formé de ténèbres et d’incertitude, mais qui semblait à la fois tellement protecteur.


Le grondement sourd de la bête n’était plus menaçant, désormais. Elle aussi, elle aurait voulu être dans la petite prison de verre, elle aurait voulu sentir la chaleur si spéciale des bras de l’ombre. Mais elle ne pouvait pas, ce mur à l’apparence fragile était incassable, et les séparaient inexorablement. Toute cette journée, elle l’avait passée à examiner l’ombre, son apparence, son comportement. Son mutisme ne lui paraissait même pas étrange, elle qui n ‘était pas du tout habituée à la conversation. C’était peut-être même mieux comme ça. Et les jours passèrent, sans que la bête ne s’éloigne, sans que rien ne se passe, mais sa rencontre avec la petite ombre avait pourtant tout bouleversé. Elle avait trouvé un passe-temps, un endroit où vivre, une personne à chérir. Elle avait l’impression qu’elle vivait pleinement.

Mais la nuit, la petite ombre rêvait. Elle l’observait pendant ses songes. Et dès qu’un rêve était chargé d’émotions, la structure de béton changeait. La première nuit, ce fut particulièrement violent, le plafond s’enfonça, une sortie se boucha, des lianes constituées de rouille et de vieux matériaux apparurent, s’infiltrant dans l’édifice par les sorties restantes, et s’enroulèrent entre elle pour former de solides chaînes incrustées dans le béton. La seconde nuit, les lianes se contentèrent de bouger lentement, mais ces serpents factices ondulant autour d’elle l’inquiétaient un peu. Son esprit ne vacilla pas, et elle continuait de passer ses journées avec la petite ombre, qui exprimait tellement malgré son vide intérieur.

Puis une nuit, la petite ombre pleura. Elle pleura en rêvant, ses larmes écarlates formées de haine ne s’arrêtaient pas de couler. Elle se tordait par terre, elle tenait son visage, essayant d’arrêter ce flot, mais ses songes ne la laissaient pas, et les lianes commencèrent à faire des trous dans les murs, à s’abattre violemment les unes sur les autres, Le plafond s’enfonça encore plus, si bien qu’elle fut obligée de s’allonger pour ne pas se faire écraser, des bruits de coups résonnaient dans l’édifice entier, l’écho amplifiant le son horrible des craquements émis dès qu’un mur se fissurait. Puis la petite ombre arrêta. Elle s’écroula sur le sol, ayant retrouvé un sommeil paisible. Cette nuit-là, la créature poussa un hurlement horrible, une longue plainte qui secoua les collines.

Le lendemain, la petite ombre resta dans son coin. Elle ne s’aperçut même pas du carnage qui avait eu lieu, qu’elle avait pourtant engendré. La trace rouge de ses larmes avait marqué le sol de verre. La bête se rapprochait, et la petite ombre semblait le sentir, ses membres tremblant de plus en plus violemment depuis quelques jours.

La nuit suivante fut pire. Les rêves étaient particulièrement violents, les lianes s’entre déchiraient, et elle regardait la petite ombre qui se roulait par terre, gémissant, criant, sans pouvoir rien y faire. Le flot rouge se déversait dans la cage au fur et à mesure que l’édifice se détruisait, et la petite ombre hurlait son malheur, elle semblait cracher sa colère par n’importe quel moyen, ses yeux devenus écarlates à force d’être remplis de larmes, sa bouche déformée par ses plaintes, sa prison souillée par son chagrin. Elle ne pouvait rien faire, elle sentait la petite ombre perdue, elle sentait que le béton ne tiendrait pas longtemps, mais elle ne pouvait pas partir, elle n’avait nulle part où aller, deux des sorties restantes étaient bloquées par les lianes. Elle ne comptait plus que sur la fin du rêve, jusqu’au moment où plusieurs lianes s’abattirent sur la cage de verre, faisant exploser le plafond en mille éclats translucides. Et là, les larmes rouges commencèrent à rouler contre les murs, à remonter vers la surface. Ce fut d’abord un fin filet qui traversait l’édifice, puis il se transforma en un véritable torrent, que la petite ombre ne pouvait arrêter. Elle ne semblait même pas le vouloir.

Elle essayait de tendre la main à la petite ombre, mais dès qu’elle s’approchait un peu, le courant crée par les larmes devenait plus fort, le désespoir était amplifié, et là, elle sut que c’était fini. Elle sut qu’elle ne pouvait plus rien faire pour la petite ombre. Ni pour elle d’ailleurs, car elle ne voulait même plus retourner à sa vie d’avant. C’était terminé.
Puis une plainte se fit entendre, un pas gigantesque se posa tout près, faisant trembler l’édifice. La petite ombre était maintenant agitée de spasmes violents. Sa bouche laissait elle aussi échapper la colère. Quant à elle, elle n’était pas inquiète, la bête ne pouvait rien faire, c’était déjà fini, même si elle avait voulu les dévorer. Elle posa un dernier regard sur la sortie et elle vit deux immenses orbes bleus scintillant dans l’obscurité. Ils étaient profondément enfoncés dans de l’ivoire noir, aux coins arrondis. C’était la bête. Elle voyait son museau posé à terre, ses grands yeux azur, les petites fissures sur sa face, et son expression chargée de douleur devant ce spectacle.

Elle ne comprit pas vraiment ce qu’elle faisait, mais elle se jeta vers la sortie, pataugeant dans le torrent, ignorant les cris de la petite ombre, et elle s’agrippa fermement au museau de la bête, se tenant grâce aux fissures. Et la bête se releva, elle entendit la petite ombre pousser un hurlement de douleur, elle sentit les vagues rouges s’éclater contre les parois déjà fragilisées, elle comprit que la structure avait lâché, tout s’était effondré, laissant un tas de ruines, sans aucune traces de l’ombre. Elle avait escaladé la bête pour se retrouver sur son dos, en s’aidant tantôt des irrégularités de l’ivoire sur la face, tantôt des poils grisâtres sur son dos. Et elle se laissa porter.

Elle sentit le vent sur sa peau, elle regarda le paysage vide. Elle y était revenue. Mais finalement elle ne le regrettait pas.

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